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Une championne canadienne passe par le désert dans son parcours vers les Mondiaux

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Même si elle a vécu presque toute sa vie à l’étranger, Kate Sanderson a toujours rêvé de nager pour le Canada.

Par Nathan White

Elle a nagé dans le désert et elle a traversé un désert dans sa vie personnelle. La natation lui avait même presque été enlevée, mais elle a surmonté ses difficultés et atteint de nouveaux sommets en plus d’établir encore plus d’objectifs à réaliser. Elle continuera à poursuivre ces objectifs aux Championnats du monde FINA à Gwangju, en Corée, où la compétition de natation en eau libre commence samedi. L’athlète de 19 ans y disputera les épreuves de 10 km, de 5 km et de 5 km relais par équipe.

Sanderson, son frère aîné Luke et sa sœur cadette Claire sont tous les trois nés à Toronto. La famille s’est réinstallée dans l’Indiana lorsqu’elle avait trois ans. Dès l’âge de 11 ans, elle a démontré des dispositions pour le sport lorsque son père, Mark, a reçu une superbe offre d’emploi à Abu Dhabi. Si Abu Dhabi comptait peu de piscines, celles qui donnaient un accès sans restriction aux femmes étaient encore moins nombreuses. Malgré son jeune âge, Sanderson a pris sur elle même de trouver un couloir.

Elle nageait souvent seule ou aux côtés d’hommes bien plus lents qu’elle dans un club de natation pour novices. Elle se rappelle les regards voulant dire « Mais qu’est-ce qu’elle fait ici? » qu’elle recevait lorsque l’adolescente nord-américaine blonde et athlétique qu’elle était se présentait dans une piscine remplie d’hommes. Une des piscines qu’elle avait trouvées était située à 140 km au nord-est de Dubaï, ce qui signifie qu’avec sa mère Jaqueline elle passait environ trois heures en voiture pour qu’elle puisse nager pendant une heure et demie.

Elles ont réalisé une première percée lorsqu’elles ont trouvé une école américaine à Abu Dhabi. Cette école, qui avait une petite équipe, lui a permis de se joindre au groupe d’entraînement. Toutefois, cela comportait un défi : l’entraînement durait jusqu’à 7 h 30 et Kate devait être à l’école (à 25 minutes de la piscine, les bons jours) au plus tard à 8 h. Ne voulant pas perdre cette occasion, elle a transformé le siège arrière de la Nissan Armada familiale en vestiaire et en coin déjeuner afin d’arriver à l’heure à l’école.

« Elle se séchait, se brossait les cheveux et s’habillait dans l’auto pendant que celle-ci roulait. Elle y mangeait aussi », se rappelle Jaqueline Sanderson. « Je lui disais parfois : “Ne te change pas maintenant, il y a un autobus qui s’en vient et ils pourraient te voir, attends, attends, OK, il y a une ouverture”. C’était parfois très drôle. »

« Je lui demandais parfois : “Puis-je me changer maintenant?” en essayant de mettre mon uniforme », ajoute Kate en riant. « Je devais mettre une cravate, une jupe écossaise et un chemisier. Ce n’était même pas un uniforme facile à enfiler dans une voiture. C’est vraiment drôle de penser à tout ce que nous devions faire pour nager et aller à l’école. »

Après un an à Abu Dhabi, la famille a déménagé au Qatar voisin, où elle a trouvé un programme beaucoup plus vaste avec les entraîneurs Evgeny Stolyarov et Raul Bernal. Cela lui a frayé un chemin vers les compétitions internationales et la prochaine étape de son développement de nageuse, mais à un certain moment, son engagement s’est focalisé d’une façon malsaine.

Sanderson était avec sa mère à une compétition au Pays de Galles lorsqu’elle s’est effondrée dans sa chambre d’hôtel.

« Ce n’était pas une chute sévère, je me suis seulement écroulée sur le sol et heureusement que ma mère était là », se rappelle Sanderson.

L’adolescente souffrait d’un désordre alimentaire, et l’incident au Pays de Galles a prouvé à ses parents à quel point c’était devenu grave.

« Je ne pense pas que mes parents se sont dit : “Elle est vraiment malade”. À ce moment-là, on pensait vraiment qu’on pouvait le contrôler. Cela a marqué un tournant », ajoute Sanderson. « Je n’ai pas disputé le reste de la compétition, mes parents m’ont ramenée à la maison, et c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à nager de moins en moins. »

Les symptômes de Sanderson incluaient des évanouissements et des problèmes de vision. La famille a cherché de l’aide auprès de professionnels du milieu médical au Qatar et au Canada. Dans le cadre de ce traitement, ses parents ont pris la difficile décision de l’empêcher de nager jusqu’à ce qu’elle recommence à manger et qu’elle revienne à un poids santé.

« Lorsque j’ai commencé, à 14 ans, je pesais 125 livres et je suis arrivée à 89 livres. Ce n’était pas facile », raconte Sanderson. « Il n’y avait pas moyen de s’entraîner. C’était le plus difficile pour moi parce que la natation est quelque chose qui m’a toujours apporté de la joie. »

« Vers la fin de la septième année et pendant presque toute la huitième année, je me suis entraînée de façon intermittente. J’ai même passé cinq mois et demi sans nager. J’étais très malade. »

Cependant, l’objectif de retourner à la piscine l’a motivée à surmonter son trouble alimentaire. Mark Sanderson a toujours en sa possession la « merveilleuse lettre » que lui a écrite sa fille dans laquelle elle a livré un plaidoyer passionnant pour qu’on lui permette de nager de nouveau.

L’adolescente avait écrit que « la natation la rendrait plus forte, qu’elle en avait besoin, et que c’était sa voie. Elle ne pouvait pas rester sans nager, et Jaqueline et moi, nous étions dans l’erreur », explique Mark.

« Je me suis dit : “Le seul moyen de retourner à la piscine est de prendre du poids”. Mon père me préparait des boissons frappées de 1000 calories et je me rappelle qu’elles avaient vraiment mauvais goût. Dès que j’ai pris un peu de poids, ils m’ont laissé reprendre la natation », raconte Sanderson. « Lorsque j’ai recommencé à nager, j’ai retrouvé l’appétit et la motivation parce que je voulais recommencer le lendemain et j’aimais ça encore plus. Après quatre ou cinq mois, je pesais 15 libres de plus. »

Sa famille a déménagé une fois de plus en 2015, cette fois-ci à Colorado Springs. Et bien qu’elle n’était pas complètement venue à bout de son trouble alimentaire, Kate a adopté des habitudes plus saines, dans un nouvel environnement, où elle a rencontré un nouvel entraîneur, Mike Doane, qui a eu une attitude positive sur elle.

Doane, aujourd’hui âgé de 71 ans, a entraîné des athlètes à la piscine et en triathlon, mais il admet qu’il n’était pas dans sa zone de confort en ce qui a trait aux troubles alimentaires.

« Je lui ai dit : “Je ne vais pas prétendre que j’ai compris ce dont il s’agit. Je sais seulement que tu as beaucoup de potentiel et que tu dois être en bonne santé”. Je pense qu’au fil du temps, c’est ce qui s’est passé », ajoute Doane.

« Il ne m’a jamais jugée et il m’a aidée à passer à travers cela », raconte Sanderson, dont la santé s’est graduellement améliorée au Colorado. « Le soutien que j’ai reçu m’a permis de me reprendre. Pendant très longtemps, je n’ai pas voulu en parler. Maintenant, je regrette d’avoir ressenti de l’embarras parce que je sais que c’est quelque chose dont on ne devrait pas avoir honte ou peur d’en parler. »

En 2017, Sanderson s’est qualifiée pour l’équipe nationale junior des États-Unis et a dû faire un choix entre sa citoyenneté américaine et sa citoyenneté canadienne. Elle n’a jamais eu de doute au sujet du pays qu’elle voulait représenter.

« J’ai déménagé tellement de fois, mais je me suis toujours identifiée comme Canadienne. Mon chez-moi, c’était l’endroit où je passais mes vacances ou la Noël. Toute ma famille y vit », raconte-t-elle. « C’est l’endroit où nous allons lorsque nous avons quelque chose à célébrer. »

Sa grand-mère, sa tante et son oncle du côté de sa mère vivent dans la région de Toronto, et plus d’une dizaine de membres de sa famille, du côté paternel, habitent à Port Elgin, Ontario, près du lac Huron. En avril 2018, sa grand-mère et son oncle ont fait le déplacement jusqu’à Montréal pour la regarder disputer sa première compétition au Canada, les Championnats canadiens de natation 2018.

Elle s’est qualifiée pour les Championnats du monde juniors de natation en eau libre ouverts de la FINA, et ensuite, elle a pris part aux Essais canadiens de natation à Edmonton, où elle a réalisé un record personnel de 16:30.83 au 1500 m en plus de se tailler une place dans l’équipe des Championnats panpacifiques seniors. Sanderson a inscrit un chrono de 16:33.16 pour finir au 13e rang au 1500 m aux Championnats panpacifiques où elle a gagné en expérience en plus de se classer 10e au marathon de 10 km en eau libre. Tout cela l’a menée à une huitième place aux Mondiaux juniors, même si elle luttait contre la maladie.

Mark Perry, entraîneur de distance et de natation en eau libre de Natation Canada, n’a pas été étonné de la voir consolider sa place dans l’équipe nationale senior en remportant la course de 10 km aux Essais canadiens de natation en eau libre, en avril à Grand Caïman. Sanderson, qui a mené la compétition pendant presque toute la durée de la course, a décidé de suivre le sillage du peloton masculin lorsqu’il est passé près des femmes. Cela a accru son avance et cimenté sa victoire.

Perry était heureux de la voir mettre ce qu’elle a appris en pratique avec seulement une année d’expérience en natation en eau libre. Cela incluait un camp qui s’est déroulé autour de la compétition Best Fest à Majorque, où les nageurs ont bénéficié d’analyse de compétition en plus d’apprendre des tactiques.

« Elle a évidemment consolidé toute cette expérience et l’a mise en pratique aux Essais, et c’est ce qui lui a permis de se tailler une place dans notre équipe des championnats du monde pour la première fois », explique Perry. « Je pense qu’elle est très mûre et déterminée. Lorsqu’on lui parle, on se rend compte qu’elle a de grandes ambitions et qu’elle est prête à faire le travail pour réaliser ces ambitions. »